Le pneu les réunit, mais là n’est pas l’essentiel. A quelques semaines d’intervalle, les sections CFDT de SODG et Dunlop ont réalisé une percée spectaculaire et modifier des équilibres syndicaux qui paraissaient figés.
SODG, AFFIRMER SES POSITIONS ET LES TENIR. Créée en 2005, la section CFDT de SODG, filiale de Michelin spécialisée dans la fabrication de pneumatiques haut de gamme (704 salariés), fait sensation en mai 2007 en triplant son résultat aux élections CE : de 14,5 à plus de 46 %. Pierre se souvient du jour du dépouillement. « On envisageait 2 sièges et j’étais en 4e position. Imaginez mon étonnement et ma joie quand j’ai vu que j’étais titulaire… » Dans un contexte de forte concurrence syndicale (CGT, FO et CFTC), la section s’est d’abord distinguée par son état d’esprit. « On s’entend bien et surtout, on se complète bien, souligne Jéronimo Nasciemento. Et puis on ne passe pas notre temps à attaquer les autres organisations syndicales. »
Pour ce qui est de la perception des salariés du travail accompli, le vote parle de lui-même. D’autant que les résultats concrets, via deux accords estampillés CFDT, sont au rendez-vous. Le premier en 2006 porte sur l’intéressement et représente en moyenne 600 à 1 000 euros pour chacun. L’accord sur les salaires, signé en décembre 2006, a enfoncé le clou. Pour Jean-Philippe Beaujard, délégué syndical, cet événement a fait mûrir et a soudé le groupe. « Nous avons voulu mettre en place un talon pour favoriser les bas salaires. La négociation a démarré et les autres OS ont appelé à la grève qui a duré huit jours. Nous n’avons pas suivi et sommes restés à la table des négociations en faisant le lien permanent avec les salariés. Nous avons obtenu gain de cause (une augmentation moyenne de 3,9 % et un talon de 300 à 630 euros), et signé l’accord qui n’a pas été dénoncé. Moins de 20 % des salariés de l’usine ont fait grève. »
TOURNEES D’ATELIER ET COMMUNICATION. Pas de recette donc, mais des pratiques syndicales renouvelées. « Nos principaux atouts, affirme Cédric, c’est notre complémentarité et la communication. On se réunit régulièrement et on sort au moins un tract par mois où on explique nos revendications sans dénigrer les autres OS. » Pierre prolonge : « On est rigoureux dans l’organisation des tournées d’atelier. On a fait trois binômes de deux pour suivre les 3 x 8, et le délégué syndical vient aider de temps en temps. ». Et Sylvie, représentante syndicale au CE de conclure : « Ce qui fait la différence, c’est que la CFDT est plus proche des salariés. Elle les représente mieux par l’âge et par une plus forte présence sur place. On couvre aussi tous les horaires. ».
LE SOUTIEN CONSTANT DU SYNDICAT. Dans cette montée en puissance progressive de la section, Jean-Philippe reconnaît le rôle du syndicat Chimie Energie Auvergne Limousin. « Depuis la création de la section, le syndicat nous a aidé sur tous les plans : écoute, conseils, distribution de tracts, formation et suivi. Plus récemment, le travail avec le Cad (N.D.L.R. Comité d’actions Développement) nous a fait gagner en autonomie et en cohésion d’équipe. ça a permis aux élus de s’impliquer davantage. » Sur la question du développement, la section est consciente des difficultés et du travail qu’il reste à accomplir pour transformer le capital sympathie, environ 200 voix, en nouvelles adhésions. « Ici, nous défendons tout le monde, ça fonctionne comme ça depuis le début et c’est difficile de faire changer la donne » concède Pierre. Jean-Philippe propose en synthèse de « passer un nouveau cap en travaillant notre rapport aux adhérents, et notamment sur ce qui les distingue des sympathisants ».
D?UNLOP à MONTLUÇON, LE DEVELOPPEMENT AU GALOP. Créée en 2001 lors de la négociation des 35 heures, la section CFDT de Dunlop à Montluçon vient de passer, en quelques mois, du statut d’organisation syndicale minoritaire influente à celui d’organisation encore minoritaire, mais incontournable, en doublant son résultat aux élections (de 15 à 30 %) et triplant son nombre d’adhérents (de 20 à 60).
DEUX MOUVEMENTS DE GREVE FONDATEURS. En juin 2005, la direction de l’usine (700 salariés) annonce qu’elle supprime la prime d’allègement de charges pour le personnel de suppléance et les équipes du week-end. Anthony, délégué du personnel, se souvient. « La CFDT a tout de suite initié la grève qui a duré 24 heures. Le mouvement a été suivi par 150 grévistes, 80 % des effectifs du week-end. Tout le monde était devant les grilles. La direction a cédé au bout de cinq heures de négociation. »
Quatre mois plus tard, en octobre, la direction remettait le couvert en annonçant qu’elle décidait d’augmenter la productivité sans contrepartie négociée pour les salariés. La section reprend alors l’initiative, et innove : « Nous avons initié une sorte de grève du zèle, explique David Tomzack, délégué syndical. Nous nous sommes calés sur une productivité à 100 %, ce qui est légèrement en-dessous du seuil de rentabilité. Le mouvement est parti des équipes du week-end et s’est propagé en semaine. La CGT a suivi, mais pour tout le monde, la CFDT était le moteur. On a eu 100 % de grévistes et la direction a reculé. »
UN DECLENCHEUR : LES FORMATIONS DEVELOPPEMENT DU SYNDICAT. Forte de ces deux faits d’arme, au cours desquels elle aura perdu en passant sa réputation de « syndicat du week-end », la section souhaite concrétiser ses succès en termes d’adhésions. Thierry, délégué syndical central du groupe et présent sur le site, fait appel à l’équipe Développement du Syndicat Chimie Energie Auvergne Limousin en mai 2006. S’en suivent un diagnostic des pratiques syndicales et une formation sur l’organisation des tournées d’atelier. Richard, élu CHSCT, résume : « Grâce à ce travail avec le syndicat, on a pris conscience qu’il fallait se bouger. Aller toucher tous les secteurs, tous les ateliers, toutes les équipes. On a organisé des réunions de section tous les mois, une permanence et des tournées d’atelier tous les mardis matin à partir de septembre. ». Résultat : trois équipes de deux militants couvrent les 3 x 8, se font connaître, font remonter les questions, distribuent les tracts, affichent les compte-rendus. Pour David, l’objectif était
« d’avoir du monde partout. Il nous fallait trouver des candidats, des adhérents. Certains de ceux qui tournaient n’avaient pas de mandat. En semaine, ils tournaient mais sur leur temps personnel… ».
UNE STRATEGIE DE DEVELOPPEMENT BIEN EN PLACE. Et cette présence sur le terrain porte ses fruits avec une quarantaine de nouveaux adhérents en quelques mois. « Tout est parti d’un noyau dur de 2, 3 personnes qui passaient très bien face à une CGT qui n’était plus représentative dans les ateliers de production. Progressivement, le noyau dur est passé à plus de 10 militants » confie Anthony. Et une fois que le courant passe dans une équipe, « Thierry et moi on vient proposer l’adhésion avec un discours syndical bien rodé, poursuit David. Nos positions sont claires. A chaque grève, on a gagné et on a signé des accords de progrès. Ce qui nous donne un argument-massue sur la cotisation : ce qu’on t’a fait gagner te permet de payer facilement ta cotisation ! ».
L’objectif affiché est de « retourner voir les gars en 3 x 8 » pour se développer. Et faire adhérer des collaborateurs du 2e collège grâce à Jean-Pierre qui s’y est fait connaître et reconnaître depuis plus d’un an. « J’y vais en éclaireur, le niveau de communication y est différent. Thierry et David viendront ensuite enfoncer le clou. » On ne change pas une stratégie gagnante ! n
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3 questions à…
JEAN-PHILIPPE BEAUJARD & DAVID TOMZACK,
DELEGUES SYNDICAUX DES SECTIONS SODG & DUNLOP
Quels enseignements tirez-vous des réussites récentes de vos sections ? JPB : Le discours CFDT, était le bon. Et attendu par les salariés, beaucoup plus que je ne m’y attendais. Du coup, j’ai des regrets sur le nombre de candidats, de ne pas avoir fait des listes plus conséquentes. Il a fallu redistribuer aux autres OS des postes de suppléants, car nos listes n’étaient pas complètes. J’aurais dû être plus optimiste. Avec le recul, on aurait pu y arriver facilement, ça aurait évité le cumul des mandats.
DT : Notre stratégie est bien en place, le travail de terrain a payé. Mais il faut ne pas se relâcher, et restructurer notre action et notre équipe dès maintenant. La période actuelle permet de voir qui va émerger de l’ensemble de nos adhérents. Il faut aller au-delà de nos visites d’atelier actuelles et investir de nouveaux secteurs. Des agents de maîtrise, des cadres viennent nous voir, il faut en profiter, ne pas rester sur nos acquis.
Quelles sont alors vos perspectives ? JPB : Il faut, à la fois, que l’on préserve et affirme notre identité syndicale CFDT, tout en étant actif au niveau du CE pour l’ensemble des salariés. Nos heures doivent servir pour la syndicalisation et les grandes réformes à venir.
DT : Nos positions sont claires et transparentes. On a posé des actes, gagné à chaque grève, et signé des accords de progrès. Nous avons donc les moyens d’être ambitieux. Notre objectif, c’est de convertir le taux de sympathisants en taux d’adhésion.
Quels conseils donneriez-vous à une section qui se pose la question de son développement ? JPB : Etre convaincu que le discours CFDT est le bon et que ça marche ! L’optimisme, l’enthousiasme sont très importants. Il faut aussi être attentif à tous les aspects de la communication : être disponible, à l’écoute, et aussi, bien informé pour être crédible et avoir de bonnes revendications. Savoir recevoir et solliciter le soutien du syndicat et de toutes les structures syndicales.
DT : Un gros noyau d’adhérents est nécessaire pour avoir des relais sur le terrain. Donc ne pas hésiter à proposer l’adhésion. Il fait décomplexer le syndicalisme. Constituer un petit groupe de 3, 4 militants, complémentaires et motivés par l’adhésion et y aller. Passer, repasser, cibler, écouter et convaincre. Au fur et à mesure, le discours syndical se rode, l’argumentaire se peaufine et ça marche !