Après un an et demi de lutte acharnée pour sauvegarder les 400 emplois menacés dans le groupe papetier Stora Enso, l’intersyndicale et le comité d’entreprise ont interrogé les salariés sur la poursuite ou non de l’action engagée. Doit-on dénoncer le plan social, le groupe n’ayant pas respecté ses engagements de permettre la reprise de l’exploitation par un repreneur ? La consultation du personnel, organisée le 30 novembre dernier, a montré que majoritairement les salariés ne souhaitaient pas s’engager dans cette voie.
Pour autant, la CFDT a invité l’association Les Géants du Papier Solidaires à faire reconnaître rapidement devant les tribunaux la fiabilité du projet de reprise, ainsi que la mauvaise foi du groupe lors des négociations. Pour la CFDT, cette mauvaise foi justifie des dommages et intérêts pour les victimes licenciées (manque de véracité en termes de reclassement). Cette reconnaissance permettrait notamment d’accompagner efficacement les salariés qui souhaiteraient entamer une démarche auprès des Prud’hommes.
RETOUR SUR Un contre-projet viable qui s’est heurté au capitalisme dur. Le 27 octobre 2005, le groupe papetier Stora Enso annonçait sa volonté d’arrêter deux des trois machines de son usine de Corbehem, dans le Pas-de-Calais. Pas moins de 400 emplois étaient alors menacés. Face à cette annonce, la section CFDT, les autres organisations syndicales du site, et les salariés se regroupaient en association, Les Géants du Papier Solidaires. Leur objectif, construire un contre-projet industriel original, pour maintenir les machines en service et sauver les emplois menacés. Les salariés de l’usine de Corbehem n’en étaient pas à leur première mutation… Ils proposaient alors de produire du papier à partir de chanvre. Ce papier à haute résistance permettrait de fabriquer des sacs de sortie de caisses pour les supermarchés en remplacement des sacs plastiques, interdits à partir de 2010.
En associant matière première recyclable et bonne biodégradabilité, le contre-projet s’inscrivait clairement dans une démarche de développement durable. Pas étonnant alors qu’il reçoive le soutien des responsables politiques et économiques, locaux comme nationaux. Le contre-projet n’était pas seulement écologique et socialement responsable, il était aussi économiquement viable. C’est pourquoi le groupe industriel Green Recovery faisait part de son intérêt pour le projet de reprise, et négociait le rachat des machines avec Stora Enso.
Le plus insupportable restera sans doute l’attitude d’ouverture de Stora Enso lors de la négociation du contre-projet industriel et ce, jusqu’au jour de la clôture de la consultation sur le plan social, construit autour de la reprise d’exploitation des deux machines par un repreneur. Le lendemain, Stora Enso annonçait qu’il refusait de vendre ses machines à Green Recovery. Ce revirement compromettait gravement l’équilibre du plan social.
Un contre-projet industriel de cette ampleur, proposé par les salariés pour éviter la destruction d’emplois suite à une restructuration, est extrêmement rare. Il est un véritable défi à l’affichage que font les grands groupes industriels de leur engagement en faveur du développement durable et du « socialement responsable ». En décidant de détruire des capacités de production en Europe pour y raréfier les qualités de papier qu’il fabrique et en faire monter les prix de vente, le groupe finlandais Stora Enso restera classé dans la catégorie du capitalisme dur ! L’activité industrielle et l’emploi d’une région, l’innovation, l’avenir des salariés et de leur famille, tout cela n’a pas cours quand il s’agit de rentabilité et de résultats financiers.
Renforcer l’Europe
Le contre-projet des salariés du groupe papetier Stora Enso, destiné à sauvegarder les 400 emplois menacés, aura reçu l’entier soutien des acteurs français, jusqu’au Premier ministre. L’Emcef et Uni Graphical, les deux fédérations syndicales européennes qui couvrent le champ de la production papetière et des industries graphiques, auront aussi apporté leur total soutien au projet de reprise. La manifestation des salariés à Bruxelles, devant le Conseil de l’Europe, le 7 novembre 2006, aura elle permis de rencontrer le ministre des Finances finlandais, et de lui demander d’intervenir auprès de Stora Enso, l’Etat finlandais en étant actionnaire. Mais aujourd’hui, la réponse qu’il devait donner sous 48 heures n’est pas encore arrivée…
Dans ce conflit, le traitement du dossier est resté au niveau d’Etat à Etat, sans avoir pu être pris en charge par une autorité fédératrice européenne. Face à ces groupes industriels mondiaux, la nécessité d’une autorité politique européenne forte est de nouveau démontrée. Le dossier industriel de la filière papetière dépasse largement la dimension nationale. C’est pourquoi il est urgent de pourvoir le réguler au niveau européen. Organiser une réelle représentation politique nécessite de se doter d’une Constitution européenne. Si le premier projet de Constitution n’a pas reçu l’assentiment majoritaire des Français, il ne faut pas en rester là. Il faut en bâtir un nouveau qui permette à l’Europe de peser sur la scène mondiale.