Après la catastrophe de Toulouse, dans une usine certifiée ISO 14001, et à la veille de l’ouverture de négociation sur la prévention des risques professionnels, nous constatons la faible prise en considération de l’apport des salariés et de leurs représentants dans les dispositifs de prévention des risques. Et cela tant de la part des pouvoirs publics que des industriels (mépris des Drire pour les CHSCT, et refus de l’UIC d’associer les syndicats au programme Responsible Care*).
Nous revendiquons une reconnaissance formelle de l’intervention des travailleurs sur la prévention des risques tant professionnels, qu’industriels ou environnementaux.
Cette reconnaissance formelle de la contribution préventive des salariés, face aux risques, se distingue d’un vœu pieux en ce qu’elle suppose des méthodes et des moyens, et qu’elle exige de redonner du sens aux gestes professionnels.
Les catastrophes et les grands accidents professionnels ou industriels ne se distinguent pas, malgré l’ampleur des dégâts humains, des accidents courants ni des presqu’accidents. Ils ont en commun la combinaison complexe d’événements conduisant au drame, événements constitués de dysfonctionnements techniques ou organisationnels le plus souvent précédés de signes avant-coureurs.
La veille et le signalement du risque
Notre intervention, en tant que salariés, militants ou simples adhérents, consiste à tenter de voir venir et signaler ces dysfonctionnements : une démarche de veille et de signalement des anomalies qui, aux antipodes de la délation, privilégie la gestion des erreurs. Dans cette logique, le dysfonctionnement n’est pas considéré comme une faute mais comme un aléa qu’il convient de repérer et de corriger.
Quel travailleur n’a pas été témoin ou informé d’un incident pouvant porter atteinte à la sécurité ou à l’environnement ? Qu’a-t-il fait de cette information précieuse inconnue des autres acteurs de l’entreprise ?
Loin de nous l’idée de montrer du doigt tel ou tel comportement dans une situation concrète de travail. Si le signalement et l’alerte peuvent incomber à tout salarié identifiant un risque potentiel, il revient entièrement au chef d’entreprise d’analyser les risques et de prendre toute mesure de prévention ou de précaution.
Dans un cas, pour le salarié témoin d’un dysfonctionnement, il s’agit d’une éthique et de responsabilité morale alors que dans le cas du chef d’entreprise, il s’agit de responsabilité légale et pénale. Il faut noter que dans certains cas, la responsabilité morale trouve un prolongement légal : il en va ainsi de l’accusation pour non assistance à personne en danger. Des controverses n’ont pas manqué d’éclater lorsque des témoins d’accidents ont jugé plus utile de prévenir la gendarmerie plutôt que de prodiguer des secours maladroits aux victimes.
Dans un souci de prévention optimisée, les travailleurs ont besoin, comme tout acteur, d’un ensemble cohérent incitant à la prise de responsabilité : information de qualité, formation à l’analyse des incidents, temps disponible pour cela, protection contre les sanctions et reconnaissance des initiatives prises.
Aujourd’hui, malgré les progrès techniques et le renforcement des procédures ISO et autres, l’organisation du travail de nos entreprises pénalise les démarches responsabilisantes ou participatives. Les obstacles sont multiples : réduction, atomisation des collectifs de travail, précarisation des statuts, contraintes de temps qui interdisent les retours d’expériences.
Nous revendiquons, pour tout salarié, un droit d’alerte et de retrait élargi à l’ensemble des risques professionnels, industriels et environnementaux. Droit nécessairement accompagné des prérogatives d’investigations et d’expertise pour les institutions représentatives du personnel (CE/CMP, CHSCT
). Cette intervention peut concerner une fuite de produits toxiques, un exercice incendie bâclé ou un accueil incorrect des sous traitants ou des livreurs : la solidarité entre salariés restant pour nous un objectif permanent !
Le droit de la négociation collective devra, quant à lui, se développer dans l’ensemble du champ des risques professionnels, industriels et environnementaux pour engager une dynamique sociale forte et une responsabilisation des travailleurs à la hauteur des enjeux repérés.
Redonner du sens à nos activités industrielles
Si la mobilisation des hommes et des femmes au travail est reconnue comme une contribution irremplaçable à la sécurité et à la sûreté industrielle, alors il convient de débattre des conditions et des finalités de telle ou telle production.
Faut-il produire pour contenter des spéculateurs ou pour apporter un service ou un produit dans des conditions optimisées sur le plan économique, social et environnemental ?
Nous sommes convaincus qu’on ne peut développer une éthique de la prévention et une responsabilisation accrue des travailleurs qu’en élargissant leurs droits d’intervention dans la marche de l’entreprise et en confortant leurs attentes citoyennes (sécurité, cadre de vie, transparence, participation
).
Nous faisons donc appel à tous les faiseurs de « chartes » et autres « engagements éthiques » pour qu’ils joignent le geste à la parole.
* Responsible care : engagement de progrès pris au début des années 90.