Au début des années 2000, deux usines déjà vendues par le groupe chimique Air Liquide, numéro un mondial des « gaziers », explosent et entraînent des conséquences humaines et matérielles graves. L’usine de Moissy, en Seine-et-Marne, est du même type que ces deux- là. C’est une centrale automatique de séparation des gaz de l’air. Elle produit 1 000 tonnes d’oxygène et d’azote liquide par jour et livre en permanence, par pipelines et camions, ses clients industriels et médicaux. Elle est aussi l’une des 14 installations classées Sévéso 2 seuil haut de Seine-et-Marne. Le groupe Air Liquide ne reconnaît pourtant, pour ce type d’usines, qu’un risque pour l’environnement et les populations, en cas d’incendie et d’épandage massif de liquide cryogénique…
La mise en évidence du risque
En 2001, le Préfet réclame que l’étude de danger et le plan d’opération interne (POI) de l’usine de Moissy, plan qui organise les secours en cas d’accident, prennent aussi en compte les risques liés à un accident d’hydrocarbure, à une explosion, aux conséquences d’une onde de choc, à l’effet missile, à l’effet domino, à une surpression, à un accident aérien et à un séisme. Lors de la mise à jour de l’étude de danger effectuée par l’établissement, le secrétaire du CHSCT, militant CFDT formé aux risques industriels, détecte cependant des écarts entre le contenu de cette étude et la réalité de l’installation. Certains des dangers de l’installation pouvant engendrer des risques graves pour les salariés de l’usine et les populations environnantes, sont curieusement absents du document. Le secrétaire du CHSCT demande donc des explications au chef de l’établissement, qui est aussi le président du CHSCT. C’est à ce moment que commencent les pressions du chef d’établissement sur le secrétaire du CHSCT, dans le but de le faire taire. Le secrétaire d’un autre CHSCT du groupe, militant CFDT lui aussi, lui apporte alors son soutien. Tous deux, dès lors, échangent des informations et mettent au point des stratégies pour contribuer avec efficacité à préserver
la sécurité et la santé physique et mentale des salariés. La liaison CFDT d’Air Liquide s’empare également du dossier. L’affaire remonte ainsi les différents niveaux hiérarchiques du groupe, mais la négociation aboutit à une impasse. La situation est bloquée et devient conflictuelle.
L’expertise
et ses suites judiciaires
A force de persévérance, le secrétaire du CHSCT du site de Moissy réussit en juillet 2002 à convaincre les autres élus de voter une expertise du CHSCT. Le CHSCT confie l’expertise à Célidé. Il informe, en novembre 2002, la direction du cahier des charges de l’expertise demandée. La direction conteste alors le périmètre de l’expertise. L’affaire prend une tournure judiciaire. L’équipe syndicale se tourne vers le Syndicat Chimie énergie Ile de France. Et par son intermédiaire, fait appel à un cabinet d’avocats. En mars 2003, le Tribunal de Grande Instance de Melun, statuant en référé, précise par ordonnance le contenu de la mission de l’expert. Il confie à Célidé l’expertise en 3 points : l’efficacité du POI, les besoins en formation du personnel par rapport aux situations accidentelles, et la réalité des protections mises en place pour assurer la sécurité des salariés. En parallèle, l’action de l’équipe syndicale de l’établissement est relayée par le niveau interprofessionnel. L’union départementale 77 CFDT signale les dysfonctionnements auprès des autorités administratives, préfecture et mairie. Quelques mois plus tard, en août, l’entreprise attaque à nouveau le CHSCT et Célidé au Tribunal de Grande Instance de Melun et conteste cette fois, non plus le périmètre, mais la durée de l’expertise proposée par Célidé. Sur les conseils de la confédération, le CHSCT conserve son propre avocat et Célidé fait, lui, appel à un cabinet spécialisé dans le risque industriel. En octobre, le tribunal donne raison à Célidé et au CHSCT. Il confirme le bien-fondé de la durée de l’expertise. Air Liquide n’hésite pas à faire appel devant la Cour de Paris, mais c’est une nouvelle victoire pour le CHSCT. Air Liquide envisage en dernier recours la cassation mais finit tout de même par entendre raison. L’expertise peut alors commencer. Elle durera toute l’année 2004. Pendant toute l’expertise, les conflits sur l’exercice des prérogatives du CHSCT continuent. A plusieurs reprises, le contrôleur du travail rappelle à l’ordre le président du CHSCT, chef de l’établissement. Il établit finalement un procès verbal d’entrave au fonctionnement du CHSCT. En juin 2005, le procès verbal est enregistré auprès du parquet de Melun.
L’expertise et ses effets
Elle a créé une dynamique. Elle a permis de mettre tous les acteurs autour d’une table, d’articuler des réalités contradictoires, de reconnaître le salarié comme facteur de fiabilité, et de changer la vision du risque. Elle a été une opportunité pour relancer la démarche prévention par une nouvelle méthode d’analyse et de mise à l’épreuve des certitudes. La formation et le partage d’expérience ont démontré leur pertinence lors de la mise à l’épreuve, grandeur nature, des scénarii de déclenchement du POI prévu par l’expertise.
Le CHSCT du site de Moissy a réussi a passer cette épreuve difficile. Ses membres CFDT constituent désormais une équipe soudée. La section syndicale a, elle, vu le nombre de ses adhérents augmenter de 700 % !