Le projet de loi relatif à la « modernisation du système des produits de santé », a été présenté au Conseil des ministres du 1er août et en cours d’examen par le Parlement. Jean-Marie Villoing et Jean-François Chavance responsables fédéraux en charge de la pharmacie réagissent. Rencontre avec la rédaction de FCE-magazine.
Mag FCE : Le projet de loi s’inscrit en suite directe des nombreux dysfonctionnements mis en lumière après l’affaire du Médiator. Que contient ce projet de texte et quelles en sont les principales dispositions ?
Jean-François Chavance : Le texte de loi proposé est organisé autour de trois chapitres :
– « La transparence des liens d’intérêts ». C’est un chapitre qui développe les obligations des entreprises, experts, médecins, associations de patients, étudiants, organes de presse, à déclarer tous les liens économiques entre eux et qui prévoit des sanctions en cas de manquement,
– « La gouvernance des produits de santé ». Ce sont là des dispositions qui renforcent les missions de nouvelle « Agence Nationale de Sécurité du Médicament » (ANSM) chargée de la délivrance de l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) des médicaments et de leur contrôle, en augmentant entre autres mesures, la pharmacovigilance. L’agence sera également chargée d’encadrer les campagnes de publicité sur les vaccins,
– « Le médicament à usage humain ». Il s’agit là d’un chapitre qui donne la possibilité d’exiger des études complémentaires après la mise sur le marché du médicament. Il précise les critères de suspension ou de retrait d’une AMM. Il encadre précisément la visite médicale en milieu hospitalier.
Mag FCE : Le projet de loi répond-il aux attentes de la FCE-CFDT ? Quelles sont les premières réactions de la fédération ?
Jean-Marie Villoing : Le texte proposé, sous réserve de concrétisation, nous paraît bien adapté aux enjeux ou problèmes liés aux conflits d’intérêts, même si le contrôle des déclarations n’est pas assuré par un autre organisme que l’ANSM. Nous notons positivement le renforcement de la pharmacovigilance et même une certaine volonté de transparence. Mais les autres « remèdes » proposés par le législateur nous apparaissent bien en retrait des ambitions annoncées.
Par exemple, il ne sera pas obligatoire de faire la démonstration d’une efficacité thérapeutique supérieure d’un nouveau médicament par rapport à ceux existants pour obtenir la fameuse AMM. Le chapitre qui traite du financement de la nouvelle agence reste flou. Il sera, nous dit-on, précisé ultérieurement. La remise à plat de la définition du prix du médicament n’est même pas évoquée. Actuellement, faut-il le rappeler, son prix est totalement indépendant du coût de production ou des véritables efforts de recherche. Plus grave encore, dans son contenu le projet de loi pointe du doigt et stigmatise véritablement la visite médicale en voulant la limiter d’abord à l’hôpital. C’est une mesure que la FCE considère tout simplement comme absurde, voire même contre productive au développement de la pharmacovigilance !
Mag FCE : Pourquoi la fédération juge-t-elle cette mesure absurde ?
Jean-Marie Villoing : Le législateur se trompe de cible. Ainsi, il attaque une fois de plus la visite médicale qui est, avec ses quelque 18000 visiteurs médicaux, le seul intervenant à délivrer une information médicale auprès des médecins. Il est vrai que les laboratoires des industries pharmaceutiques ont toujours cherché à dévier la visite médicale de son rôle initial, afin d’en faire davantage un vecteur commercial pour optimiser son profit. Mais n’oublions pas que l’État n’a jamais voulu assumer pleinement son rôle, ou responsabilité de formateur et mettre en œuvre une politique d’information de qualité pour tous les prescripteurs. Il a laissé le champ libre aux laboratoires. Pourquoi le projet de loi ne fait-il pas mention de la formation continue des prescripteurs du médicament (médecins ou pharmaciens, professionnels de santé) ? Une information/formation d’autant plus nécessaire que de nouveaux médicaments et produits arrivent sur le marché et que les effets enregistrés dans le cadre de la pharmacovigilance doivent être connus de tous. Voilà pourquoi la fédération parle d’absurdité.
Mag FCE : Quel remède ou proposition peut-on faire ?
Jean-Marie Villoing : Nous défendons depuis des lustres, une visite médicale de qualité, c’est-à-dire qui informe au mieux les prescripteurs des avantages et des limites à l’utilisation des médicaments. On souhaite un système généralisé qui couvre tous les professionnels et interdise le ciblage organisé par les laboratoires. Il faut savoir qu’aujourd’hui près des deux tiers des médecins reçoivent des visiteurs médicaux. Doit-on penser qu’à l’ère d’internet la formation la plus efficace se fera exclusivement par l’informatique ? La FCE en doute, c’est le moins que je puisse dire. Partout, c’est le fabricant qui connaît son produit et qui vante ses mérites. Pour le médicament, l’État doit jouer son rôle de garant de la sécurité sanitaire et du contrôle indispensable.
Mag FCE : Pourquoi les propositions en termes de visite médicale hospitalière collective ne vous convient pas ?
Jean-François Chavance : Ce n’est ni de l’idéologie ni du discours, mais des aspects pratiques nous font dire que cette mesure est très « cosmétique », voire superficielle ! Compte-tenu des missions de l’hôpital, c’est le chef de service qui impose, très souvent, les conditions de rendez-vous aux visiteurs médicaux dans le cadre de réunions avec plusieurs médecins appelées « réunions staff ». C’est là une pratique courante. Il y a aussi les congrès scientifiques. Ils sont réglementés avec déclaration par les entreprises. On observe que pour plusieurs spécialités médicales, le seul vecteur d’information est la formation collective avec la participation aux congrès à laquelle peuvent s’ajouter des visites organisées en « face à face ». C’est ce que nous ont déclaré des chirurgiens, par exemple. La visite face/face est complémentaire. Elle permet d’informer le praticien :
– des plans de gestion des risques (PGR) que les médecins doivent appliquer avant l’utilisation de ces produits pour certains produits très complexes,
– rapidement des modifications d’administration dans les Résumés des Caractéristiques de Produits (RCP) pour les produits de haute valeur technologique afin de garantir pour le patient « du bon usage » du médicament.
– des effets indésirables remontées pas les visiteurs médicaux hospitaliers suite à ses contacts réguliers.
Mag FCE : Quelles actions la FCE compte-t-elle mener ?
Jean-François Chavance : Dès le début de l’affaire du médiator, la fédération a publié régulièrement sur son site internet des informations sur cette actualité. Après le 23 juin, date à laquelle le ministre de la santé Xavier Bertrand a présenté les grandes orientations de son projet, le syndicat énergie chimie d’Ile de France (Secif-CFDT) et la fédération ont organisé des réunions pour mesurer l’impact des mesures et affiner leurs positions. Les militants ont été nombreux à réagir, à nous faire part de leurs points de vue. Des actions ont vu le jour, « recueil de doléances de la visite médicale (VM) », courriers aux députés, etc. Même une démarche intersyndicale semble possible.
Mag FCE : Et depuis la communication du projet de loi ?
Jean-Marie Villoing : Nous nous sommes attelés à sensibiliser les décideurs de la loi. En vue du débat parlementaire de fin septembre, nous avons rencontré un groupe parlementaire, présenté notre contribution au ministère du travail et l’avons transmise au rapporteur de la loi. Nous avons aussi réalisé une vidéo en ligne sur le site www.fce.cfdt.fr.
Enfin, nous avons écrit avec d’autres organisations syndicales et le LEEM un communiqué de presse pour sensibiliser les députés, les sénateurs, l’opinion publique sur l’impact social de ce projet de loi. Cette démarche assez « exceptionnelle » bouscule nos habitudes, mais il ne faudrait pas que le législateur profite d’une expérimentation à l’hôpital peu réaliste, pour enfoncer encore un peu plus le métier de visiteur médical.
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DÉCLARATION DES ORGANISATIONS SYNDICALES DE SALARIÉS DES ENTREPRISES DU MÉDICAMENT ET DU LEEM AU SUJET DE LA VISITE MÉDICALE A L’HôPiTAL
Les organisations syndicales de salariés des entreprises du médicament et le Leem, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, entendent interpeller les pouvoirs publics et la représentation parlementaire sur l’exercice de la visite médicale à l’hôpital. Ils souhaitent que le projet de loi intègre :
• La volonté de conduire une vraie expérimentation, ce que ne permettent ni le caractère obligatoire du projett de texte actuel, ni les délais insuffisants qui interdisent un véritable déploiement de pilotes et une réelle évaluation, associant l’ensemble des acteurs.
• Le respect des accords et de la politique conventionnelle, en partticulier de la Charte de qualité de la visite médicale. Toute évolution de la visite médicale à l’hôpital doit s’intégrer dans cette Charte, en lien avec le rôle dévolu à la HAS.
• Le rôle majeur joué par le délégué médical en matière de sécurité sanitaire et de pharmacovigilance à l’hôpital.
Ils rappellent que l’activité de visite médicale consiste à délivrer aux profeessionnels de santé une information médicale de qualité sur le médicament et à en assurer le bon usage. La diffusion de cette information permet aux professionnels de santé, en conscience et en toute indépendance, de choisir de manière éclairée la meilleure stratégie thérapeutique pour le patient. Ce faisant, le délégué médical participe de manière responsable et éthique à la diffusion du progrès thérapeutique et à la sécurité du patient.
Les organisations syndicales de salariés et le Leem réaffirment leur volonnté de défendre ce métier.