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LAÎCITÉ : débat avec Jean-Louis Bianco

Depuis plus de vingt ans, la question de la laïcité s’invite régulièrement dans l’actualité, en France...

Depuis plus de vingt ans, la question de la laïcité s’invite régulièrement dans l’actualité, en France. En 1989, l’affaire très médiatisée du port du foulard par deux élèves dans un collège de Creil (Oise) a été un événement déclencheur amenant, après quinze ans de conflits médiatisés, le Parlement à voter largement une loi, en mars 2004, interdisant de manifester ostensiblement son appartenance religieuse dans l’enceinte de l’école publique. La peur de l’avenir, ressenti comme chargé d’incertitudes, la perception d’un risque de déclassement, l’existence de quartiers communautarisés, le développement de la visibilité de l’islam dans l’espace public, et parfois dans les entreprises, dans une France culturellement sécularisée, sont autant de facteurs qui inquiètent la population. L’horreur et la forte émotion suscitées par les terribles attentats terroristes revendiqués par Daesh, soi-disant au nom de l’islam, mettent à l’épreuve la cohésion nationale, et poussent à évoquer l’application de la laïcité comme solution.

C’est pourquoi le gouvernement a installé, en avril 2013, l’Observatoire de la laïcité (initialement créé par un décret de mars 2007).  Sa mission est d’éclairer les pouvoirs publics, d’exprimer un avis sur les textes législatifs, d’initier des études ou des recherches et d’établir un état des lieux annuel du principe de laïcité. Cet Observatoire, placé administrativement sous l’autorité du Premier ministre, est présidé par Jean-Louis Bianco, ancien ministre et ancien secrétaire général de l’Elysée. C’est à la suite de sa participation à l’un des débats lors de notre comité directeur fédéral de janvier que FCE-CFDT magazine a souhaité le rencontrer, dans son bureau, rue de Grenelle à Paris pour une interview. Jean-Louis Bianco nous a précisé que, concrètement, cet Observatoire a pour objectif de fournir des outils de réflexion et n’a pas pour vocation d’imposer une vision particulière ou dogmatique de la laïcité. Il nous précise que la laïcité n’est pas une opinion parmi d’autres, mais la liberté d’en avoir une. Elle n’est pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes, sous réserve du respect de l’ordre publicdéfini par la loi. Elle s’inscrit dans une longue histoire définissant au fil du temps les principes politiques d’organisation de la France. Jean-Louis Bianco précise que la laïcité repose sur trois piliers : 
– La liberté [de croire ou de ne pas croire, de changer de religion, de manifester ses convictions religieuses à condition de ne pas attenter à la liberté des autres dans le respect de l’ordre public] ;  
– La neutralité du service public [les agents des collectivités territoriales, de l’Etat ou des services publics doivent dans l’exercice de leurs fonctions être neutres et ne pas manifester une préférence pour une conviction politique, syndicale, philosophique ou religieuse] ;
– La citoyenneté [nous permet de vivre ensemble avec nos différences quels que soient nos appartenances, nos convictions, nos centres d’intérêt. Nous sommes toutes et tous des citoyens à égalité de droits et de devoirs]. 

La base est la séparation de la puissance publique et des organisations religieuses, la reconnaissance de la liberté de conscience et de culte sous fond d’égalité de tous devant la loi. Ces principes sont historiquement fixés par la loi de 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat (les religions ne doivent pas s’immiscer dans le fonctionnement des pouvoirs publics, et ceux-ci ne doivent pas s’ingérer dans les institutions religieuses), dans celle de 1882 sur l’instruction primaire laïque et obligatoire, et dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (intégrée à notre Constitution). Pour nous permettre de bien saisir cette notion de laïcité, Jean-Louis Bianco nous indique que la loi d’octobre 2010 consistant à l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public est une loi de sécurité publique qui n’a rien à voir avec les principes structurant la laïcité. En effet, celle-ci s’applique aussi bien aux casseurs cagoulés en marge d‘une manifestation qu’à un motard avec un casque intégral dans la rue ou à une femme portant le voile intégral. Il est important, pour lui, de ne pas déformer ce principe politique de laïcité en l’instrumentalisant pour s’opposer aux religions, servant ainsi de prétexte pour certains pour rejeter l’islam. Il ajoute que l’application d’une laïcité « dure » n’empêcherait pas le développement du terrorisme. En effet, la laïcité ne peut être invoquée pour résoudre tous les problèmes sociétaux qui peuvent être liés à la situation économique et sociale, au contexte urbain ou aux problèmes d’intégration. Il appuie son raisonnement par l’exemple d’un homme qui refuse dans le train d’être contrôlé par une femme. Il doit recevoir une amende pour non présentation de titre de transport. Ce cas ne mobilise pas nécessairement les principes de laïcité. Il en est de même pour un cafetier qui refuserait de servir une femme parce que c’est une femme: il doit être condamné pour refus de vente sur un motif discriminatoire à l’encontre des femmes. Monsieur Bianco précise que les appels à la haine, à la violence, au non-respect de l’égalité entre les femmes et les hommes doivent être fermement sanctionnés dans le cadre des lois qui nous régissent. Pour lui, tout citoyen et toute organisation peuvent exprimer, par des moyens légaux, leur hostilité à l’égard d’un projet de loi ou même d’une loi votée, en ce qu’ils l’estiment contraire à leurs convictions, notamment philosophiques ou religieuses. Mais, dès lors que ladite loi est promulguée, ils doivent s’y soumettre et ne pas entraver sa mise en œuvre. 

L’Observatoire propose des formations, anime des débats à la demande, produit des avis et des guides   accessibles sur son site Internet (www.laicite.gouv.fr). Par exemple, face à la remontée de questions sur la gestion des faits religieux dans l’entreprise privée, il a édité un guide s’appuyant sur une approche équilibrée qui précise le cadre légal permettant d’encadrer toute manifestation d’une conviction religieuse, tout en rappelant qu’une entreprise privée n’est pas soumise au principe constitutionnel de laïcité. La CFDT a, quant à elle, également publié un guide sur le fait religieux en entreprise. L’Observatoire, comme la Confédération, a contribué à la réalisation du guide du ministère du Travail, rappelant les textes du code du Travail et apportant des réponses concrètes à 39 cas d’école parmi les plus fréquemment rencontrés sur les lieux de travail (accessible sur le site du ministère). 

En conclusion, Jean-Louis Bianco précise que l’adhésion à une foi ou à une conviction philosophique relève de la seule liberté de conscience de chaque femme et de chaque homme. Il faut distinguer l’intérêt général des croyances et des convictions particulières. Il est utile de s’informer, de se former etd’accepter les discussions contradictoires. Les tensions doivent se régler par le dialogue. Il ne faut pas réduire notre identité nationale à la seule laïcité. Ce n’est pas un combat. C’est un outil essentiel pour assurer la cohésion nationale. 

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