Militant CFDT à la retraite, Robert Aubonnet consacre à Rueil une partie de son temps à une association intermédiaire. Loin des discours, il montre que l’action pour l’emploi nécessite intelligence et coopération de tous ceux qui veulent agir dans ce domaine.
Aujourd’hui, tu es retraité. Pourquoi consacrer du temps et militer dans une association d’insertion ?
En 1985, à la suite d’un plan social, je suis licencié. A 57 ans et demi, c’est une sorte de préretraite payée pour partie par l’ANPE. Alors, je me suis demandé comment aider ceux qui sont vraiment sans emploi ?
Tu rejoins donc une association ?
A l’époque, des associations existaient en province, mais rien en Ile-de-France. Une rencontre a été déterminante. Par hasard, dans les locaux CFDT des Hauts-de-Seine, j’ai croisé un patron qui travaillait au Sénégal. Il recherchait l’appui d’une organisation syndicale pour créer une association. Voilà comment a démarré Trampleim en 1987. Et j’étais du voyage.
Tu croises par hasard un ex-patron, et te voilà parti pour une aventure.
Une aventure, tu ne crois pas si bien dire. Les membres de l’association étaient surtout des cadres, des chefs d’entreprises à la retraite. Ma présence, celle d’un syndicaliste, a suscité chez certains la méfiance. Ma candidature de secrétaire a été validée de justesse. Nous avons dû apprendre à nous connaître, à nous faire confiance, à reconnaître nos compétences respectives. Des critiques ont été émises aussi par de nombreux syndicalistes, y compris à la CFDT. Ils accusaient les associations d’entretenir la précarité, de cautionner le chômage. A l’ANPE, des responsables considéraient que l’on était sur leur terrain.
Je te sens un peu amer. Mais aujourd’hui, j’imagine que l’association peut faire un bilan après quinze ans d’existence.
Evidemment. L’association, animée par des permanents et des bénévoles, affiche des résultats positifs. Et le mot positif prend tout son sens, ce sont des hommes et des femmes que nous avons aidés à sortir de la galère. Je ne gomme pas les difficultés, mais je peux raconter des réinsertions vraiment réussies prouvant le rôle indispensable des associations. Des associations que je connais bien. On en compte aujourd’hui 14 dans le département. Elles coopèrent, mutualisent leurs expériences et partagent leurs connaissances. Nos rapports avec l’ANPE, la DDTE, la DASS se sont améliorés. Je parle aujourd’hui de complémentarité.
Peut-on dire que vous êtes les « délégués du personnel » de ceux qui sont sans emploi, laissés-pour-compte ?
On peut le dire. Sur ce terrain, les membres des associations sont souvent les seuls à se préoccuper de ceux qui ont perdu pied dans un monde administré et réglementé. On rencontre de plus en plus de personnes éloignées du travail. Des gens déqualifiés. C’est là que l’association joue un rôle important. Elle organise des parcours d’insertion et permet le retour vers l’emploi. C’est en ce sens que nous sommes complémentaires de l’ANPE.
Et les employeurs, ceux qui ne sont pas à la retraite, comment voient-ils le rôle des associations ?
Je me rappelle les artisans de la chambre des métiers qui disaient que le travail effectué dans le cadre de nos contrats relevait de la concurrence déloyale. Nous avons expliqué notre rôle et nos particularités. Aujourd’hui, des artisans font appel à nous. Nous répondons aussi aux demandes des particuliers. C’est là un service de proximité, un terrain inexploré par l’ANPE.
Tu me dis que vous faîtes mieux que l’Agence nationale pour l’emploi !
Dans certains cas, oui. Notre capacité d’accompagnement et d’écoute, mais aussi notre tissu de relations et notre connaissance du terrain nous permettent de remettre dans l’emploi des personnes qui avaient un avenir sans issue. Je me souviens d’un gars, inscrit à l’ANPE depuis sept ans. Nous lui avons trouvé un CDI en trois semaines.
Comment vois-tu l’avenir ?
J’ai plein d’idées. Venant de l’industrie, je voudrais suggérer aux élus des comités d’établissement et aux organisations syndicales de penser à la formation professionnelle afin que les aléas des plans sociaux et autres restructurations ne rejettent des salariés « sans qualification « . Il y a aussi l’ouverture des activités sociales aux salariés précaires, aux exclus. La solidarité, vraiment, ça se cultive.
L’association intermédiaire
L’association intermédiaire (loi 1901) a pour objet l’embauche de personnes sans emploi rencontrant des difficultés sociales et professionnelles. Elle facilite l’insertion et les placements s’effectuent dans le cadre du Code du Travail (L.322-416) qui définit l’insertion par l’activité économique. Pour fonctionner les A.I doivent obtenir un agrément de la direction départementale de l’emploi (DDTE). Elles bénéficient d’aides financières de l’Etat.
Portrait
« Je suis critique, c’est ma nature ». A 75 ans, Robert n’a pas perdu son sens aigu de l’observation du « terrain », ni sa capacité à reconnaître les avancées sociales. Que ces dernières soient à inscrire au crédit des syndicalistes, des patrons, de la gauche ou de la droite. Délégué de classe en 1944, il est ensuite délégué chez BP, qu’il soit à Courchelettes, Lavéra ou Paris. Syndicaliste, il saura allier son activité professionnelle et son investissement militant. En 2003, Robert est toujours sur le terrain de l’emploi, et c’est gagnant.