Si le droit individuel d’expression est un principe inscrit dans la loi, la pratique révèle que tout ne peut pas être dit, ou pour le moins écrit. Dérives juridico-électroniques.
Ainsi, si l’on peut s’exprimer, encore faut-il respecter les obligations de discrétion et de loyauté vis-à-vis de l’entreprise, quand bien même ses agissements seraient discutables. Une salariée en a fait « les frais » après avoir affiché une banderole sur son balcon (donc son domaine privé), mettant en cause nommément et publiquement son entreprise. Saisie, la Cour de Cassation a considéré que les écrits de la salariée « constituaient un abus de la liberté d’expression » et le licenciement pour cause réelle et sérieuse a été validé.
Nos ordinateurs et joujoux high-tech laissent à penser qu’on écrit exclusivement à ses amis, son réseau ou collègues identifiés et que nos humeurs, nos jeux de mots et nos photos leur resteront destinés. Pas certain ! Car pour respecter le secret des correspondances, il faudrait être sûr que le support intègre cette notion. Internet n’offre pas la « sécurité d’une enveloppe cachetée ». Si les sites web permettent de limiter l’accès des pages à nos « amis », les utilisateurs ne sont pas assez prudents et vigilants, tant professionnellement que dans le cadre privé.
Prudence donc devant son ordinateur. Mais comment se prémunir ? Il est impératif lors de vos échanges de courriels personnels sur votre lieu de travail de verrouiller vos fichiers comme « personnels ». Ils seront considérés, comme le rappelle la Cour de Cassation « comme relevant de la vie privée du salarié, car tout salarié a le droit, même au temps de travail et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée ». Pour autant l’employeur, propriétaire de vos outils de travail, peut en limiter l’utilisation personnelle ou instaurer une surveillance, à condition de vous avoir prévenu et informé les instances représentatives du personnel.
Et qu’en est-il des mails que l’on reçoit « malgré soi » ? Le directeur-salarié d’une entreprise a été licencié pour faute grave, après la découverte sur son ordinateur de fichiers à caractère pornographique. Pas moins de 22 photographies et 3 vidéos. Si le salarié ne contestait pas la présence de ces fichiers, il contestait en revanche en avoir sollicité la transmission. Ses arguments n’ont pas été de taille à convaincre sa hiérarchie, mais ont été admis par la Cour de Cassation. Celle-ci a suivi l’arrêt de la Cour d’Appel statuant en ces termes, en voici un extrait : « rien ne permettait de contredire les affirmations du salarié selon lesquelles il n’avait jamais fait que recevoir des « mails » accompagnés des images litigieuses, leur présence sur l’ordinateur ne démontrant pas qu’il les ait enregistrés alors qu’au contraire plusieurs de ses collèges attestaient sans être contredits qu’ils avaient aussi été destinataires d’images pornographiques, et ajoute qu’aucun des griefs n’étaient établis ». Le licenciement pour faute grave a été invalidé car le salarié ne pouvait être reconnu coupable d’avoir reçu des mails qu’il n’avait pas sollicités. Son tort ayant été de ne pas les avoir détruits dès réception. L’entreprise évoquait donc que leur présence était volontaire et c’est sur ce motif qu’elle fondait le licenciement pour faute grave. Coupable de recevoir ? Coupable de les conserver ? Imaginez les conséquences d’une telle décision ! Heureusement la Cour d’appel et la Cour de Cassation ont recherché l’intentionnalité derrière la présence de ces fichiers.
Quant à la vie privée, elle peut être mise à mal par l’aspect chronophage des mails. Des dizaines, voire des centaines par jour ! Des salariés se voient contraints de les lire chez eux, craignant de passer à côté d’une information importante…
Alors, message professionnel ou privé, que l’on soit l’auteur ou le lecteur, le mail n’est pas sans conséquences. « Ni envahisseur ni envahi », cela pourrait être un objectif.