Usine du monde dont les produits peuplent notre quotidien et déséquilibrent notre commerce extérieur, cinquantenaire des relations diplomatiques entre la République française et la République populaire de Chine ;courant août, dévaluation du Yuan et gigantesque accident industriel dans le port de Tianjin, soubresauts de la bourse de Shanghaï, inquiétudes sur les fondements de la croissance chinoise et sa « voracité » en matières premières … La Chine occupe l’actualité.
Marché gigantesque en plein développement, la Chine aiguise les appétits, d’autant que l’Europe est en panne de croissance. Inversement, l’Europe, aussi à cours de moyens financiers,cherche à attirer ses capitaux.
Terre de mission pour ENGIE (ex GDF-SUEZ) et EDF, les deux principaux groupes de la branche des industries électriques et gazières françaises depuis près de quatre décennies,la Chine a pris une importance croissante dans leur développement ces dernières années. Mais les rapports sont-ils encore équilibrés ? La Chine n’est plus en position de simple demandeuse de compétences et de technologies occidentales. Elle a désormais acquis la maîtrise de certaines et souhaite les exporter. Dans le domaine nucléaire, elle a ainsi perfectionné l’ancien modèle français et mis au point un réacteur de 1000 MWe. Il serait plus facile à exporter que l’EPR plus puissant (1700 MWe).
(La lettre Géopolitique de l’Electricité du 25 avril 2015 www.geopolitique-electricite.fr (quin’est pas liée à la CFDT) donne des informations utiles à ce sujet).
Inversement, les 2 groupes français sont passés dans une position de demandeurs, au moins de relais de croissance, voire de ressources financières.Dans le domaine de l’énergie, comme dans d’autres secteurs, la construction européenne a été d’abord conçue sous la forme de l’introduction de la concurrence. De cette politique n’émerge aucun groupe industriel européen, mais la plupart des groupes nationaux cherchent des partenaires hors d’Europe pour contrer la concurrence en Europe et partir à la conquête du monde. Ne parle-t-on pas d’investisseurs chinois pour terminer le tour de table de la reprise par EDF d’une partie des activités d’Areva ?
(Sur ce dossier complexe qui mérite des développements à part entière, voir la lettre du 1er juin 2015 de Marie-Hélène Meyling, administratrice parrainée par la CFDT à EDF SA et le communiqué du 2 septembre de la fédération générale des mines et de la métallurgie CFDT « L’Etat et la direction du groupe Areva face à leurs responsabilités »)
Les rapports entre la Chine et l’Europe finiraient par la suprématie chinoise s’ils se limitaient à l’économie et à la finance. Mais d’autres mouvements sont à l’œuvre qui contribuent à rééquilibrer ces rapports : la lutte pour les droits des travailleurs et celle contre les changements climatiques.
Soutenus par les organisations syndicales occidentales, les travailleurs chinois améliorent leurs droits et leurs salaires. La CFDT y contribue :elle agit dans les instances représentatives du personnel où elle siège, afin que les filiales et les sous-traitants en Chine des groupes multinationaux respectent les droits des travailleurs. La CFDT est aussi impliquée dans les fédérations syndicales mondiales (IndustriALL travailleurs des secteurs miniers, de l’énergie et de la manufacture), Internationale des services publics (PSI), Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (BWI),qui aident les Chinois à s’organiser syndicalement. Plus généralement, la CFDT s’associe aux mouvements pour la défense des droits de l’Homme en Chine.
Quels que soient leurs objectifs, le succès de relations entre partenaires repose sur l’intercompréhension. Penser qu’il suffit, pour arriver à comprendre la complexité de la culture chinoise, de passer par l’anglais est un leurre. Au mieux aurons-nous toujours un temps de retard sur nos concurrent sanglo-saxons. Il est regrettable que nos entreprises proposent si peu de formations à la culture et à la langue chinoises. Et si un salarié, soucieux de préparer l’avenir, prend l’initiative d’utiliser son compte personnel de formation, il constatera que dans notre branche, les formations au chinois sont rares et seulement disponibles en Ile de France, alors que dans d’autres secteurs (distribution, logistique), des formations sont accessibles dans toutes les régions.
Il est aussi dommage que les visites de délégations chinoises ou les sessions de formation de salariés chinois à nos savoir-faire ne soient pas l’occasion d’échanges plus nombreux, plus libres avec eux.
Mais l’enjeu majeur pour l’avenir de notre planète est de réussir à impliquer la Chine dans la lutte contre le réchauffement climatique. Depuis le protocole de Kyoto en 1997 que la Chine n’avait pas signé, celle-ci est devenue le premier émetteur de gaz à effet de serre. « Le statu quo en matière de lutte contre le changement climatique dessine un scénario catastrophique pour la croissance et l’emploi.Les projections montrent qu’à l’échéance de 2050, l’épuisement des ressources,la pénurie d’eau, l’érosion des sols, la biodiversité altérée engendreront une baisse du PIB mondial estimée entre 2 et 10 % », a expliqué Cyril Cosme, le directeur du bureau de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour la France,au conseil national de la CFDT. Face à un phénomène qui menace la vie humaine et nos emplois, la CFDT appelle à une mobilisation sans précédent pour réussir la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015 (COP21/CMP11) qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre prochain. (www.cfdt.fr/portail/mobilisation-pour-le-climat-cop-21/cinq-mois-pour-reussir-la-cop-21-srv1_284688)
En novembre 2014, Barack Obama et Xi Jinping, les présidents des deux pays émettant le plus de gaz à effet de serre, ont annoncé leur intention de réduire significativement les émissions polluantes de leur pays respectif. Dans la continuité de cet accord, la Chine a diffusé un communiqué le 30 juin dernier,lors de la visite à Paris de Li Keqiang, le premier ministre chinois, en préfiguration de la COP21 : elle se fixe pour objectif d’« atteindre le pic de ses émissions de CO2 autour de 2030 tout en s’efforçant de l’atteindre au plus tôt ». La Chine entend aussi « baisser l’intensité carbone [émissions de CO2 par unité de produit intérieur brut] de 60 % à 65 % par rapport à 2005 »et « porter la part des énergies non fossiles dans la consommation énergétique primaire à environ 20 % ».
La Chine tiendra-t-elle ses engagements ? Nous ne pouvons pas préjuger que les Chinois n’auraient pas conscience de leurs responsabilités vis-à-vis de l’Humanité, mais nous savons que même dans nos démocraties, les élus ont besoin de la mobilisation des citoyens pour prendre des décisions en faveur du long terme, puis et surtout pour les mettre en oeuvre. Or le régime chinois reste autoritaire. Le renforcement des forces démocratiques en Chine est donc indispensable, mais ne sera pas achevé d’ici novembre prochain ! Cependant, les autorités chinoises sont confrontées aux dégâts croissants de la pollution dans leur pays, ce qui devrait les motiver pour engager la transition énergétique.
Le charbon représente près de 80% de sa production d’électricité (la deuxième au monde après les Etats-Unis) et devrait continuer d’occuper une place majoritaire dans l’avenir (plus de 60 % à l’horizon 2020).
La Chine doit répondre à ses défis environnementaux : en 2010, 1 279 000 Chinois sont morts à cause la pollution de l’air extérieur ! La concentration annuelle moyenne en microparticules est 6 fois plus élevée qu’à Paris, qui est déjà le double de la norme préconisée par l’organisation mondiale de la santé ! Partis étudier en Occident, bien des diplômés ne veulent plus revenir en Chine, à la fois parce qu’ils ont goûté à la liberté, mais aussi parce que la qualité de vie y est meilleure.
C’est pourquoi, la Chine :
-développe des centrales à charbon à haut rendement moins polluantes.
-augmente son parc nucléaire (Objectif 2020, 58GW, soit +160% en 5 ans. 40% des centrales en construction dans le monde sont en Chine)
– veut augmenter la part du gaz dans son bouquet énergétique, de 4% à 10% en 2020.
Ce défi de la transition énergétique qui oblige la Chine à mobiliser d’énormes moyens pour elle-même,est sans doute le facteur le plus favorable pour qu’ENGIE (ex GDF-SUEZ) et EDF valorisent leur présence en Chine. Mais il ne sera pas pleinement relevé sans l’implication des salariés des deux groupes ici en France et là-bas en Chine, à la fois en tant que travailleurs et que citoyens. Vous pouvez compter sur l’implication de vos représentants CFDT pour que les deux groupes assument pleinement leurs engagements en matière de responsabilité sociale.
Le tableau ci-après récapitule les étapes des implantations d’ENGIE et d’EDF en Chine et les progrès obtenus pour les droits de nos collègues et de nos sous-traitants chinois.
Les deux groupes se sont d’abord implantés à partir de leurs cœurs de métier respectifs. Les implantations d’ENGIE sont plus diversifiées en raison des origines plus composites du groupe (gaz et services énergétiques, production, distribution et traitement de l’eau, collecte et traitement des déchets, électricité). Dans le secteur énergétique au sens strict, la présence du groupe EDF est plus ancienne (3 décennies) que celle de GDF SUEZ (2 décennies).
La communication des deux groupes multiplie les exemples d’affaires obtenues, de chantiers gigantesques réalisés ou en cours, de partenariats conclus, mais est discrète sur les chiffres d’affaires et la contribution à l’excédent brut d’exploitation.
La fédération chimie énergie-CFDT souhaite vousproposer tous les deux mois des pistes de réflexion sur les enjeux du secteurélectrique et gazier. Sous forme de courts dossiers, elle ne prétend pas donnerdes réponses ou des positions sur tous les aspects des thèmes qu’elle traitera.Nous attendons justement vos réactions et vos propositions de thèmes pourenrichir ces réflexions : grand-angle@fce.cfdt.fr