« Le droit de s’organiser n’a jamais été obtenu sans peine. Il n’a pas été offert sur un plateau d’argent aux travailleurs de ce pays. Le droit de s’organiser a été conquis de haute lutte, par la sueur et parfois par le sang. On ne devrait jamais le considérer comme définitivement acquis, ni le rejeter d’un revers de manche ». Jim Mac Govern, membre du congrès, ne croit pas si bien dire quand il soutient les salariés de Norton St-Gobain pour leurs élections syndicales. C’était en août 2001, à Worcester dans le Massachussetts (USA). Depuis, les syndicalistes de la TUA, malgré leur victoire aux élections, se battent pour faire appliquer le droit syndical. Ca se passe comme ça aux USA ! Les salariés décident à la majorité s’ils veulent s’organiser syndicalement (voir encadré sur le droit syndical aux USA).
Jusqu’à la fin des années 80, Norton est une usine sans histoire. Fondée il y a plus d’un siècle, cette entreprise familiale pratique une gestion paternaliste à la satisfaction du personnel. En 1990, la famille vend l’entreprise à St-Gobain.
Les méthodes changent
Au printemps dernier, des salariés de Norton St-Gobain, fabricant de produits industriels abrasifs, font appel à la TUA (syndicat des travailleurs unis de l’automobile, l’aérospatiale et de l’outillage
agricole d’Amérique) pour implanter une organisation syndicale dans leur établissement. Les raisons ? Des conditions de travail qui se dégradent, des promesses non tenues, des salariés à deux ans de la retraite découvrent qu’ils ont encore 10 ans à travailler.
Une première tentative d’implantation syndicale avec l’Union des travailleurs de l’électricité échoue en 1999. Howard Deck, alors directeur de St-Gobain USA (et actuel directeur de St-Gobain Pays-Bas) déclare cyniquement : « si vous voulez un bon syndicat choisissez TUA ». Les salariés le prennent au mot.
Une nouvelle campagne électorale s’engage avec TUA. Jim Mac Govern, membre du Congrès, dont les parents tiennent depuis toujours un supermarché face à l’usine, soutient l’action des travailleurs. En octobre 2001, malgré « une attitude patronale antisyndicale particulièrement farouche et intense, truffée de mensonges, de menaces et d’intimidation » selon Bob King vice-président de TUA, les syndicalistes gagnent les élections. Le syndicat officialise son entrée dans l’entreprise, mais reste à négocier les modalités d’application du droit syndical avec la direction.
La direction refuse cette victoire et conteste le résultat des élections auprès du bureau fédéral régissant le droit du travail. Prétexte : un parlementaire (Mac Govern) a soutenu la campagne électorale. Après enquête, le bureau fédéral donne raison aux syndicalistes. La direction, au mépris des droits fondamentaux, fait appel de cette décision auprès du tribunal national.
Attitudes antidémocratiques
Les syndicalistes de TUA attendent, sans illusion, le verdict. Ils craignent le découragement des salariés. Ils dénoncent l’attitude inflexible de la direction américaine, contraire aux valeurs démocratiques de leur pays. Ils tentent, en vain, d’interpeller la direction générale de St-Gobain qui se réfugie derrière la décision de justice américaine.
L’Europe, c’est pas l’Amérique
Il n’existe pas de charte et encore moins d’accord éthique chez St-Gobain. Le groupe considère unilatéralement que sa conduite actuelle satisfait aux critères moraux et sociaux du travail. Mais St-Gobain n’est pas mal placé en matière de dialogue social. Pour la France et l’Europe, des accords sur le droit syndical ont été négociés, et un comité d’entreprise européen fonctionne selon les nouvelles directives. Une inter St-Gobain regroupe les diverses activités de l’entreprise : métallurgie, chimie, caoutchouc, verre. Cette instance, présidée par un délégué CFDT, réunit tous les représentants syndicaux.
Mais l’Europe n’est pas l’Amérique ! Les directions américaine et française refusent de rencontrer la délégation syndicale américaine. TUA est pourtant implantée dans plusieurs des deux cents sites possédés par St-Gobain aux Etats-Unis. La situation de blocage à Worcester n’en est que plus incompréhensible et intolérable.
Face au refus de la direction générale de prendre des décisions, deux responsables de TUA et le coordinateur régional pour l’Amérique du Nord de l’Icem (Union syndicale mondiale de la chimie de l’énergie et des mines) ont demandé à la FCE de les recevoir pour obtenir un rendez-vous au siège social de St-Gobain à Paris.
Dans cette lutte, les syndicalistes américains vérifient à leurs dépens que « le droit de s’organiser ne devrait jamais être considéré comme définitivement acquis ».