Avec le scandale du Médiator, le laboratoire Servier s’est trouvé propulsé à la une des médias. Le magazine a rencontré Marie-Pierre Juyoux, déléguée syndicale CFDT au sein du groupe.
Avec la parution du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) qui impute plusieurs centaines de morts au Médiator, le patron omnipotent du laboratoire, Jacques Servier, ne peut plus nier sa responsabilité. Il essaie maintenant de la monnayer en proposant aux familles une transaction financière qui mettrait fin aux poursuites judiciaires. L’achat du silence.
Magazine FCE : Marie-Pierre, tu travailles depuis 28 ans au sein de Biopharma, l’un des six réseaux de visiteurs médicaux du laboratoire Servier. Tu es aussi déléguée syndicale CFDT. Peux-tu nous dire de quelle façon les 5 000 salariés du groupe en France vivent le scandale au sein de la « Maison » ?
Marie-Pierre : La « Maison », c’est ainsi que se nomme elle-même l’entreprise. Un vocable qui traduit à la fois la culture du secret et la gestion paternaliste et autoritaire de son patron fondateur. En 1981, pour se protéger d’une nationalisation, l’entreprise définit sa structuration juridico-sociale. Elle est désormais constituée de 27 sociétés destinées à fonctionner en fondation de droit néerlandais. Au sein du laboratoire, la règle est de vivre cloisonné, de ne pas communiquer et de n’entendre que les messages de la direction. Alors, le scandale du Médiator, c’est par la presse que nous l’avons appris. La direction parle de mensonge, mais du côté des salariés, chacun pressent les dégâts sur l’image, l’activité économique et d’aucuns craignent pour l’emploi.
Magazine FCE : La CFDT est la seule organisation syndicale présente au sein du groupe. Il y a quelques semaines, lors des élections chez Oril, filiale de Servier, la CFDT, soutenue par le syndicat haut-normand a fait son entrée dans l’usine normande de production de Bolbec.
Marie-Pierre : Si les délégués existent depuis longtemps, il faut noter que les candidats ne sont pas syndiqués et sont choisis par la direction. A Bolbec, notre implantation les a conduit à prendre l’étiquette Unsa pour se présenter au premier tour. Pour ma part, lors de mon entrée dans l’entreprise en 1983, j’ai mis la priorité sur mon activité de visiteuse médicale, axée sur la promotion des produits du groupe Servier. Je n’étais pas syndiquée. Et puis il y a eu un déclic…
Magazine FCE : Que s’est-il passé pour que tu sois la première à franchir le pas et ainsi transgresser « la culture d’entreprise » ?
Marie-Pierre : Tout a commencé en 1987 avec la décision de la direction de licencier, sans aucun motif sérieux quatre de mes collègues. Face à l’injustice, il faut réagir ! Je ne suis ni déléguée, ni adhérente, mais j’ai accepté d’assister une salariée pour son entretien préalable. Cela n’empêchera pas les licenciements. Les délégués constituent un dossier et, devant le tribunal des prud’hommes les salariés obtiennent gain de cause. L’employeur est condamné. Ils ne sont pas réintégrés mais retrouvent des postes dans l’industrie pharmaceutique.
Magazine FCE : Est-ce que cela change les choses dans l’entreprise ? On peut imaginer que les salariés ont réagi.
Marie-Pierre : Pas vraiment. Il y a une telle chape de plomb que certains pensent que l’on ne peut pas contrarier les décisions de la direction. C’est ainsi que nous arrivons à la fin des années 90 et le
passage de 39 à 35 heures. Il n’y a pas d’organisation syndicale et la direction ne cherche pas à négocier. Elle décide seule de l’application de la réduction du temps de travail avec l’attribution de 23 jours de RTT. En 2000, je rejoins la CFDT, puis je suis nommée déléguée syndicale au sein de Biopharma.
Magazine FCE : Qu’en est-il aujourd’hui, en 2011, de la reconnaissance de la CFDT par la direction ?
Marie-Pierre : Fin 2005, la CFDT a mené, en lien avec l’inspection du travail, une action pour la reconnaissance des heures supplémentaires. On obtient en janvier 2006, un rappel sur quatre années, pour les six réseaux de visiteurs médicaux. Servier a mis la main au portefeuille et versé quelques 4,8 millions d’euros. C’est une reconnaissance !
Et puis, la loi aidant, il y a la mise en place d’un plan d’épargne groupe (PEG). Récemment, j’ai signé, et c’est là une première chez Servier, un accord sur le temps de travail et la définition du nombre de jours de travail (202) et de repos (30) pour les visiteurs médicaux. Je participe aujourd’hui à l’observatoire du stress mis en place à la suite des résultats très préoccupants de l’enquête menée en interne par un cabinet d’expertise.
J’ajouterai qu’aujourd’hui des langues se délient, car les messages de la direction ne sont guère crédibles. Les salariés ont le sentiment d’avoir été trahis, « certes la « Maison » nous garde encore, mais s’en est fini de la confiance aveugle et l’on peut sérieusement s’interroger sur l’avenir ». C’est là un premier pas pour sortir de l’ombre, et il compte !