MAG FCE : « Le Lean se déploie dans les entreprises du champ de la FCE. Quels sont les constats majeurs que vous pouvez faire ? »
Stéphane : « Quand on parle aux élus du Lean, ça leur évoque quelque chose. Toutefois, ils n’en voient pas toute l’étendue quant à sa mise en œuvre dans l’entreprise, et surtout ils ne connaissent pas tous les outils qui sont liés à ce type de management ou d’organisation du travail. Mais, ils ne sont jamais consultés en CE, car, aux dires de la direction, les impacts sont marginaux. Par ailleurs, le Lean n’est jamais présenté comme un projet qui modifie l’organisation, et donc entrant dans le champ de la consultation. Et les projets d’amélioration continue portent rarement le nom de Lean, bien qu’ils en aient toutes les caractéristiques. Il y a donc une sémantique à apprivoiser et qui renvoie au Lean : amélioration continue, excellence opérationnelle, performance humaine… Au final, le Lean aura des effets à moyen et long terme, et le CHSCT les identifiera alors au travers d’un taux d’absentéisme important, de l’apparition de TMS, de la recrudescence d’arrêts de travail… »
Alexandra : « Dans les expertises que nous réalisons, les salariés rencontrés nous font part d’avis contrastés concernant le Lean, selon le positionnement qu’ils ont dans l’entreprise. Il y a ceux qui sont satisfaits, a priori, car on a sollicité leur avis, et qui constatent une vague d’amélioration de leurs conditions matérielles de travail, et il y a ceux qui subissent les effets délétères du Lean, via les modifications dans l’organisation du travail, à savoir l’intensification de leur travail en raison de l’absence de temps de respiration, une coopération amoindrie dans les équipes, ou encore des impacts négatifs sur leur santé. La philosophie du Lean, qui peut être caractérisée comme du bon sens industrialisé au premier abord, est poussée jusqu’à l’absurde dans certains cas. On arrive donc à des situations où le travail réel est rendu invisible, où la complexité des tâches n’est pas reconnue, où l’expérience des salariés n’est plus prise en compte… On raisonne alors sur des standards faussés qui amènent à prendre des décisions erronées, parmi lesquelles la suppression de postes qui n’est bien souvent pas mise en avant comme un objectif du Lean, mais qui en est une conséquence très concrète. »
MAG FCE : « Qu’est-ce qu’IDEFORCE peut apporter aux équipes qui sont confrontées au Lean ? »
Stéphane : « Les équipes et les élus CE et CHSCT ont besoin d’être sensibilisés au Lean, d’en connaître la philosophie initiale, et surtout d’en repérer les outils pour, in fine, pouvoir interpeller les directions. L’objectif pour les élus est donc de s’approprier les outils du Lean, sous leur forme générique, pour les identifier et ainsi en anticiper les impacts. IDEFORCE peut sensibiliser et former les équipes sur le sujet et les aider à travailler en transverse en associant les élus CE et CHSCT. Il s’agit de questions touchant l’organisation du travail, sujet qui doit être abordé collectivement par ces deux instances, sous des aspects complémentaires. Les élus doivent connaître leurs droits et les utiliser à bon escient, notamment au travers des procédures de consultation pour projets. Il faut qu’ils puissent agir en amont pour travailler de manière préventive. »
Alexandra : « IDEFORCE peut aider à développer un esprit critique face au Lean et à doter les équipes d’arguments pour faire face aux directions d’entreprise. Celles-ci sont en effet capables de dépenser des budgets phénoménaux pour mettre en place des organisations de type Lean. Cette situation apparaît injuste pour les acteurs de la santé en entreprise, et notamment pour les élus et les militants qui sont dans une démarche de prévention et d’amélioration des conditions de travail, et qui ont parfois du mal à faire prendre en compte les enjeux de santé dans l’entreprise. Les retours d’expérience que nous avons sur le Lean doivent pouvoir servir : les équipes seront alors en capacité d’anticiper les effets négatifs qui sont observés à plus long terme. »
MAG FCE : « Quelles sont les pistes d’action pour les équipes face au Lean ? »
Stéphane : « « Le Lean est un outil qui est souvent dévoyé par rapport à sa philosophie initiale et mis en œuvre dans un contexte très différent de son environnement originel. Les élus doivent être en alerte sur des microprojets qui sont déployés de manière cloisonnée. S’intéresser au Lean, ce n’est pas en accepter les conséquences négatives. Le Lean vise aussi bien l’amélioration des gains de productivité que des modalités de prise en charge de l’activité. En conséquence, une partie de ces gains de productivité doit être redistribuée aux salariés. L’enjeu est donc d’être associé le plus en amont possible aux projets Lean afin de peser sur les problématiques de type amélioration continue, et de pouvoir négocier des contreparties et des compensations pour les salariés, en termes de rémunération, d’amélioration des conditions de travail… Accompagner et contrôler le déploiement du Lean dans une démarche préventive peut alors être le meilleur moyen d’éliminer les impacts négatifs associés à ce type d’organisation. »
Alexandra : « La culture d’entreprise est importante à prendre en compte lorsqu’un projet de type Lean est mis en œuvre. Il faut donc arriver à déchiffrer ce que retient l’entreprise du Lean, ce qu’elle enlève… Son aspect participatif n’est pas forcément dans les gènes de l’entreprise française, et les managers sont souvent dans une communication descendante. Or, pouvoir intervenir le plus en amont dans ce type de projet est crucial. Par exemple, pouvoir être intégré dans des groupes pilotes pour faire remonter les réalités du travail, mettre des garde-fous et prévenir les effets négatifs du Lean. Négocier des accords santé au travail qui intègrent la conduite des changements organisationnels est une piste d’action à creuser, afin d’être dans une démarche préventive et réellement participative. Les équipes ne doivent surtout pas hésiter à demander conseil auprès de leur syndicat et à faire appel à des acteurs extérieurs à l’entreprise (expert comme IDEFORCE, institutions comme l’ANACT…). »