Yves Brunet, 35 ans, salarié de l’entreprise Camom, sous-traitante de l’usine Atofina à St-Auban dans les Alpes-de-Haute-Provence, est dans le coma depuis le 28 décembre dernier. Victime d’un accident du travail, son système respiratoire et cardiaque fonctionne, mais il est en état de mort cérébrale. Que s’est-il passé ?
Le 28 décembre, Yves, aidé d’un intérimaire employé par la société Camom, est chargé de boucher un trou situé dans la partie supérieure d’une cuve de décantation de solvants.
Les faits
Porteurs d’une autorisation de travail en bonne et due forme, ils se rendent à l’atelier Chloé (chlore éthylène) pour effectuer la réparation. Arrivés sur place, Yves constate qu’il n’a pas l’ensemble du matériel nécessaire pour effectuer la réparation et demande à l’ouvrier qui l’accompagne d’aller le chercher.
Pendant ce temps, il met un masque facial à cartouche filtrante (l’autorisation de travail ne le rend pas nécessaire) et s’introduit par le trou d’homme dans la cuve, au moyen d’une échelle. Un responsable Atofina surveille la descente du dessus de la cuve. Il voit Yves faire en bas le tour de l’échelle puis s’affaisser. Yves essaie de remonter, mais s’effondre et ne se relève plus.
Le responsable appelle les secours. Peu de temps après, les pompiers sont sur place. L’un d’eux, muni d’une petite bouteille d’oxygène portable (les bouteilles de taille normale mises à disposition près du trou d’homme ne passent pas par l’ouverture) descend dans la cuve. En relevant la victime, le masque respiratoire du sauveteur se décolle et entraîne pour lui une intoxication.
A sa sortie, Yves présente un arrêt cardiaque. Les pompiers du site pratiquent un massage et le cœur repart, mais Yves reste sans connaissance. Il est transporté par le SMUR à l’hôpital de Sisteron, puis transféré à l’hôpital de Gap. Depuis, Yves est en état de mort cérébrale.
Pourtant, ce n’est pas un débutant. Chaudronnier-tuyauteur de l’entreprise Camom, il effectue la maintenance des installations de l’atelier Chloé depuis 15 ans. A l’extérieur, il est pompier bénévole. Il connaît les risques. Alors, pourquoi ?
L’enquête qui a suivi et l’arbre des causes (méthode d’analyse d’un accident) révèlent plusieurs faits à l’origine de l’accident : nettoyage de la cuve effectué par une entreprise sous-traitante de l’extérieur par le trou d’homme avec une lance à eau, absence de contrôle général de l’atmosphère, comme cela est préconisé pour ce type d’intervention, pas de renouvellement d’atmosphère après vidange, procédure de prise de mesures d’oxygène dit « à bout de bras » pas fiable, intervenant non pourvu d’une ceinture ou d’un baudrier.
Sous-traitance en cascade
L’arbre des causes n’interroge pas les faits liés à l’organisation du travail. Or, il est avéré que la sous-traitance en cascade de la maintenance des installations affaiblit notablement la maîtrise des risques en diluant les responsabilités.
Après l’accident, la direction Atofina publie une note invitant les salariés, « au nom du principe de précaution », à appliquer des consignes supplémentaires lors d’intervention dans les cuves. Ces « consignes » correspondent en fait aux prescriptions obligatoires contenues dans le code du travail !
Dans la brochure de présentation de la société Atofina de St-Auban, on peut lire « La multitude de métiers représentés, les métiers de la chimie bien sûr, mais aussi ceux de la mécanique, de l’électricité, de la maintenance, de la gestion permet de progresser et de s’adapter à un environnement économique évolutif grâce à la diversité et au potentiel de son personnel ». Quand on sait que toute la maintenance des installations est confiée depuis longtemps à des entreprises extérieures, on ne peut que s’interroger sur cette prétention.
Intervenir sur l’organisation du travail
La situation de l’usine Atofina de St-Auban est devenue, depuis la catastrophe de Toulouse, exemplaire au sein du groupe TotalFinaElf dont elle fait partie, du fait de son éloignement des centres urbains. Cela n’autorise pas l’entreprise à s’exempter des règles élémentaires de prévention permettant à son personnel de travailler en toute sécurité.
Les membres du CHSCT CFDT d’Atofina revendiquent depuis des années des relations plus étroites avec les CHSCT des entreprises sous-traitantes. Pour autant, le syndicalisme ne peut se contenter d’attendre la bonne volonté des directions.
C’est bien grâce à un travail syndical de terrain que la CFDT pourra intervenir sur l’organisation du travail, souvent à l’origine des dysfonctionnements et des accidents. De son côté, le syndicat Chimie énergie Alpes Méditerranée, dont dépend la section d’Atofina, s’est porté partie civile. L’action fédérale, menée par la branche chimie dans le cadre des négociations en cours sur le risque industriel, en particulier l’encadrement du recours aux entreprises extérieures, trouve ici toute sa pertinence.