Les industries chimiques connaissent une passe difficile. De nombreux éléments laissent présager une recomposition du secteur en France et en Europe.
Aperçu des tendances économiques à l’œuvre suite à l’étude qu’a confiée la FCE-CFDT au cabinet d’expertise Syndex.
Dans les années 90, des multinationales se séparent de leur chimie pour se recentrer sur des activités plus rentables, comme la pharmacie. C’est ainsi qu’Aventis se concentre sur la pharmacie, laisse sa chimie au sein de Rhodia et cède son agrochimie à l’Allemand Bayer. L’agrochimie de Novartis est, elle, regroupée avec Astra Zeneca, au sein de Syngenta. Les nouveaux ensembles de la chimie ainsi créés se retrouvent maîtres de leur destin.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Total annonce 500 millions d’euros par an, d’ici 2007, de désinvestissement dans le secteur de la chimie. Bayer met ses activités intermédiaires et polymères en bourse, au sein d’une nouvelle entité. Norsk Hydro fait de même avec ses engrais. La tendance est clairement au désengagement des activités chimiques.
Certes, la conjoncture économique n’est pas des plus favorables. Le prix des matières premières et le cours du dollar ne favorisent pas l’activité. Mais ces éléments conjoncturels valent pour d’autres secteurs. Ils n’expliquent ni la tendance structurelle au désengagement, ni la fragilisation notoire de certaines activités ou entreprises.
Rhodia est elle-même dans une situation particulièrement préoccupante (voir ci-contre). Plusieurs facteurs expliquent pourtant les inquiétudes légitimes du secteur de la chimie, et la recomposition qui pourrait voir le jour.
La chimie se compose de multiples filières d’activité. Elles ne répondent pas forcément aux mêmes critères d’analyse économique. Les filières parfums, cosmétiques et gaz industriels connaissent de bonnes performances, à l’inverse des engrais et des produits destinés à la photographie. Toutefois, des tendances communes sont à l’œuvre dans toutes les filières du secteur.
Prédominance des critères financiers
La majorité des entreprises privilégient des stratégies de coûts, au détriment de stratégies technologiques. Les critères financiers s’imposent à la plupart des groupes, comme un moyen pour configurer et structurer leurs activités, aujourd’hui retenues sur leur potentiel de croissance et leur niveau de rentabilité. Les stratégies industrielles des entreprises ne sont plus visibles.
La prédominance des critères financiers entraîne des sous-investissements (en production, entretien, etc.). Elle réactive les problématiques de risques industriels et environnementaux. Elle fragilise aussi certaines filières d’activité. La Recherche et Développement (R & D) manque d’investissements, pourtant nécessaires au développement de nouveaux produits, notamment dans les chimies de spécialité.
La logique client prend le pas sur la logique industrielle. Les fonctions Marketing et Commercial tiennent une place toujours plus importante. Le mode de management renforce la culture axée vers la croissance externe, les cessions, la rentabilité, et la réduction permanente des coûts. De fait, la culture industrielle s’affaiblit.
Guidés par ces critères, les groupes chimiques cherchent à se désengager de marchés bien précis ou à s’implanter dans des régions prometteuses, comme l’Asie. La chimie devient alors un champ concurrentiel en recomposition. On assiste à des opérations de cession et d’acquisition, qui ne respectent pas les logiques industrielles. Résultat : les industries chimiques sont fragilisées en Europe. Leur vulnérabilité est plus grande encore en France. Les groupes chimiques sont désormais issus de grandes restructurations, qui ne résultent pas de choix industriels.
Dans ces conditions, on peut s’interroger sur l’avenir des industries chimiques. La poursuite des logiques financières fragilisera d’autant les filières d’activité. Elle favorisera la perte d’innovation et de compétences en R & D. Elle fera aussi apparaître des chimies « orphelines », c’est-à-dire non rentables, donc ne trouvant pas de repreneurs. Des pans entiers d’activités, comme des sites, risquent de voir leur existence mise en cause.
On peut en imaginer les conséquences sur les territoires et l’emploi. Il a déjà diminué de 20 % en 20 ans dans les industries chimiques françaises. Sans retour à des logiques industrielles, la recomposition du secteur de la chimie risque d’être aussi néfaste côté social que côté industriel.
Le 16 décembre 2003, Patrick Pierron, au nom de la FCE-CFDT, a adressé une lettre au président de Rhodia demandant l’ouverture d’une négociation. En voici le contenu.
« L‘industrie de la chimie en France et en Europe connaît une période difficile du fait d’un contexte économique peu favorable. Bon nombre de groupes industriels de ce secteur connaissent des difficultés actuellement.
Votre entreprise Rhodia en fait partie malheureusement. Les annonces faites unilatéralement par la direction concernant des cessions d’actifs, des fermetures de sites, des suppressions d’effectifs ou des mutations d’office, inquiètent les salariés. Inquiétude légitime puisque dans le contexte économique difficile où le chômage ne cesse d’augmenter, l’avenir de leur entreprise est questionné et par conséquent, la pérennité de leur emploi est posée.
Lors de l’assemblée générale du 29 avril 2003, la FCE-CFDT est intervenue pour souligner l’importance de garder un groupe industriel intégré qui gagne en lisibilité sur son projet industriel et sa politique sociale.
Nous avons toujours soutenu la volonté de votre groupe de s’inscrire dans une démarche de développement durable qui allie les dimensions économiques, sociales et environnementales. Cette stratégie doit se mener dans la transparence, en concertation avec les organisations syndicales et une implication forte des salariés. C’est à ce prix que la confiance avec les salariés sera retrouvée.
Ouvrir des négociations
C’est dans cet esprit que notre fédération vous demande d’ouvrir des négociations avec les représentants du personnel sur les questions industrielles et sociales.
La question de l’avenir industriel du groupe, les enjeux qui sont posés et les défis qui sont à relever doivent donner lieu à une concertation avec les organisations syndicales et les représentants des salariés.
La prise en charge des aspects comme le respect de l’environnement, la sécurité des installations et des personnels, doivent être des éléments forts de cette dimension industrielle.
Au-delà du volume, la question de l’emploi doit être traitée de façon large en intégrant la formation professionnelle continue, la mobilité, les organisations et les conditions de travail, les rémunérations et la sécurisation des parcours professionnels.
Renforcer la participation des salariés
Cette question est essentielle et doit être traitée de façon à donner des perspectives d’évolution à tous les salariés.
La représentation des salariés dans les processus de décision de votre groupe me paraît également un sujet majeur pour améliorer la démocratie sociale interne. Nous vous proposons d’examiner la possibilité d’avoir des représentants des salariés dans votre conseil d’administration. Une évolution de ce type de votre gouvernance permettrait de renforcer la participation des salariés dans la vie de l’entreprise.
De plus, le fait d’avoir une gouvernance qui va au-delà des seuls actionnaires, et donc plus représentative des différentes composantes du groupe, est un gage de pérennité, de transparence et donnera une image de votre entreprise plus conforme à vos engagements sur le développement durable.
Pérenniser l’emploi
Ces propositions sont faites dans le seul souci de pérenniser le groupe Rhodia, et par conséquent, l’emploi à moyen terme.
Les perspectives du dialogue social que nous vous proposons favoriseront une meilleure compréhension des problèmes et des enjeux qui sont posés. Elles sont aussi de nature à regagner la confiance des salariés, des actionnaires et des investisseurs potentiels car elles offriront une meilleure visibilité quant à l’avenir du groupe. «