Pour la première fois de leur histoire, les salariés des Combustibles de l’Ouest, filiale de Total dans le négoce pétrolier, ont cessé le travail à l’appel de la CFDT et de la CGC. Une mobilisation qui s’est révélée gagnante grâce au travail de la section CFDT, épaulée dans son action par le réseau pro et interpro.
A l’origine du conflit qui est apparu aux Combustibles de l’Ouest, filiale de Total dans le négoce pétrolier, il y a l’engagement non tenu de la direction.
NéGOCIATIONS EN PANNE. « Pendant les NAO (NDLR : négociations annuelles obligatoires) de 2006, la direction s’était engagée par accord d’entreprise à une augmentation minimum de 1,6 % en 2007, ou à appliquer l’accord de branche s’il était plus favorable » se souvient Pascal Segalen, délégué syndical. Il fulmine : « Mais pour ne pas honorer sa signature de l’accord d’entreprise, elle a pris prétexte qu’aucun accord de branche n’avait vu le jour ! De février à avril 2007, nous avons négocié en vain pendant trois mois ». La CFDT et la CGC, les deux organisations présentes dans l’entreprise, claquent la porte. Mais Pascal n’est pas homme qu’on roule facilement dans la farine…
PRESSION SYNDICALE. Au mois d’août 2007, Pascal rencontre Jean-Luc Nicolas, secrétaire général du Syndicat Chimie Energie Bretagne, et lui expose la situation. Le constat est partagé : il faut réagir. La stratégie est arrêtée. Dans un premier temps, ils élaborent le courrier que le syndicat adresse à la direction, exigeant d’elle qu’elle respecte l’accord signé en 2006. Aucune réponse. Parallèlement, contact est pris avec un avocat pour caler une éventuelle démarche juridique. Mais une mauvaise surprise les attend. « L’avocat nous a révélé que l’accord n’était pas opposable, car il faisait référence à l’indice Insee, ce qui n’est pas recevable juridiquement » explique Jean-Luc. « Il aurait fallu se caler sur le Smic… ».
Mais qu’à cela ne tienne ! Pascal décide de maintenir la pression sur la direction. A chaque rencontre, il exprime son mécontentement et les avertit « que si elle ne revoyait pas sa position, il se passerait quelque chose ».
La direction tente alors, en octobre dernier, d’amadouer la CFDT en lui proposant 1,6 % d’augmentation générale. Proposition repoussée : « L’augmentation ne portait que sur le salaire de base, en excluant les majorations qui occupent pourtant une place importante dans le système salarial de l’entreprise » souligne Pascal. « Beaucoup de salariés auraient été pénalisés. »
MOBILISATION GÉNÉRALE. Devant cette impossibilité de déboucher, la section CFDT, suivi par le représentant CGC, décide de monter la pression d’un cran. De la main à la main, les militants distribuent un tract à chacun des quelques 400 salariés de l’entreprise disséminés sur le Grand Ouest. Un tract qui dénonce le non-respect des engagements de la direction, et détaille les revendications de la CFDT : 3 % d’augmentation sur le salaire brut, revoir le lundi de la Pentecôte et les conditions de travail. Un exemplaire est même remis personnellement au Directeur des Ressources humaines.
Quinze jours plus tard, sans réaction de l’entreprise, la CFDT lance, à nouveau par voie de tracts, un appel à la grève pour le 5 novembre, avec rassemblement au siège de l’entreprise situé à Vern-sur-Seiche, en Ille-et-Vilaine. Valérie, élue déléguée du personnel (DP), se rappelle de l’accueil des salariés :
« J’ai été bien reçue, et la très grande majorité de mes collègues s’est engagée clairement à se mobiliser ».
Pendant ce temps, la direction tente d’allumer des contre-feux en jouant sur la désinformation et l’éparpillement des sites. Sans succès. C’est plus de 85 % du personnel qui répondront présents.
BRAS DE FER… En cette journée de novembre, la présence massive des collègues devant le siège de l’entreprise à 7 h 15 est une bonne surprise pour Pascal. « Honnêtement, je ne m’attendais pas à une mobilisation de cette ampleur. » Stress garanti quand il prend le mégaphone qu’Isabelle, responsable à l’Union départementale d’Ille-et-Vilaine, avait heureusement pensé à apporter. Il rappelle à tous le long processus qui a conduit à cet appel. Avec son homologue de la CGC, il organise le mouvement : discuter avec les salariés non grévistes, bloquer le dépôt primaire de carburant de Total, et attendre des nouvelles de la direction.
« Les grévistes ont joué le jeu de manière responsable, et le dialogue avec les non-grévistes a porté ses fruits » souligne Pascal. « Pourtant, il ne fallait pas grand-chose pour que ça tourne au vinaigre, tellement l’agacement était palpable au fur et à mesure que les heures passaient » témoigne Serge, élu DP.
Le conflit est relayé sur les radios et la télévision régionale. Le réseau national de la CFDT est mis en mouvement. Deux rencontres ont lieu avec la direction sans résultat. Rémy, adjoint de Pascal, relate l’évènement lors de la seconde rencontre :
« Exaspérés, on a envahi le siège de l’entreprise, ce qui a mis fin à la rencontre. Je pense que le directeur a pris à cet instant la mesure de notre détermination ». Rendez-vous est pris pour le lendemain, avec comme consigne de bloquer tous les sites de la société. La mobilisation se renforce : tous les dépôts secondaires sont bloqués, 95 % des CDI sont en grève.
La direction, qui espérait l’affaiblissement du mouvement, est prise de court. Elle demande à recevoir les grévistes dès le matin, alors que ses intentions premières étaient de les faire mariner jusque dans l’après-midi. Pourtant, à l’issue d’une rencontre avec les délégués syndicaux, accompagnés cette fois de salariés issus de chaque métier, nouveau constat d’échec.
ET DéNOUEMENT. Le troisième jour sera le bon. Un nouveau rassemblement au siège est programmé pour le lendemain. A nouveau, les deux délégués syndicaux retournent au feu avec la direction. Après deux heures et demie d’échanges, un accord est enfin trouvé. « Il restait à expliquer aux collègues que ce que nous avions obtenu, bien que cela ne correspondait pas exactement à nos revendications de départ » se rappelle Pascal. « Et ça n’a pas été simple. Heureusement qu’Olivier (NDLR : Olivier Deplace) était là pour aider à organiser un vote à bulletins secrets. » Vote qui a vu 85 % du personnel approuver le résultat obtenu par les délégués syndicaux (DS).
« Les salariés vont maintenant nous voir d’un autre œil » analyse Pascal. « En fin de conflit, les épaules tombent, mais on est content du devoir accompli. J’ai beaucoup apprécié le soutien du syndicat et de l’interpro sur les aspects matériels ou à des moments clés du conflit. Ce mouvement va renforcer notre présence dans l’entreprise et resserrer les liens au sein de l’équipe. » Serge confirme : « J’ai déjà des retours positifs sur la prestation de Pascal. Beaucoup de salariés l’ont vraiment découvert ». Le capital confiance de la CFDT a, sans conteste, fortement grimpé.
Tant mieux, car après avoir gagné une hausse du pouvoir d’achat de 6 %, elle en aura besoin pour faire aboutir ses revendications sur l’amélioration des conditions de travail. C’est maintenant sur ce domaine que Pascal et son équipe, avec l’ensemble du personnel, vont se battre pour faire le plein.
3 questions à…
OLIVIER DEPLACE, SYNDICAT CHIMIE éNERGIE BRETAGNE
Tu étais présent le dernier jour du conflit. Quel a été ton rôle ? Nous avions mesuré, lors d’une formation DS, que ces derniers n’étaient pas forcément à l’aise pour gérer une fin de conflit. Ceux qui ont eu à le faire savent que ce n’est pas évident. Il y a la pression collective à gérer, la fatigue aussi, et dans ces cas-là, ça peut déraper facilement. C’est pour cela que le secrétaire du syndicat a souhaité que je sois présent pour venir en appui à Pascal. D’autant qu’on sentait que ce troisième jour de grève pouvait être le bon. Lorsqu’il a fallu se positionner sur les propositions de la direction, j’ai encouragé et aidé Pascal à organiser un vote à bulletins secrets pour permettre à chaque salarié de se positionner sereinement.
Comment as-tu été perçu ? Je ne sais pas vraiment. Je pense qu’ils ont apprécié que le syndicat soit présent pour les soutenir. J’ai commencé par prendre la température en échangeant avec plusieurs salariés. Deux sujets forts ressortaient : les rémunérations et le stress au travail. J’ai profité de ces moments privilégiés pour sensibiliser les élus à se former. J’ai également présenté le syndicat. Quand la reprise du travail a été votée, j’ai refait le tour des grévistes en leur remettant un tract « Plus forts, plus nombreux » et j’ai reçu un très bon accueil.
Quels enseignements en tires-tu ? Lorsqu’on est DS, il faut être préparé à toute éventualité. C’est ce qui rend pertinent le petit module sur la gestion de conflit mis en place par le syndicat. Il faut vraiment qu’il soit suivi par tous les DS du syndicat. C’est également important que le syndicat, ou l’interpro, soit présent pour épauler les militants de la section, car le recul que nous avons sur les évènements peut leur être utile.